Opus n° 8 : L’opéra, la symphonie, la musique de film… Et pourquoi pas la musique de ballet ?
Le tournant du 20ème siècle en Europe représente un moment de mutation très important dans tous les arts qui mènera aux esthétiques modernes et contemporaines. La danse et la musique ne font pas exception. En musique cela se traduit par un éloignement constant du discours tonal académique, considérablement exploité durant les deux siècles précédents et sans cesse enrichi jusqu’aux étourdissants chromatismes wagnériens. La danse de son côté s’émancipe peu à peu des positions “classiques” et libère le corps dans ses mouvements afin de lui permettre l’emploi d’un vocabulaire gestuel déclinable à infini.
Ce renouveau stylistique donne un nouveau souffle au ballet qui, de la même manière que l’avait expérimenté l’opéra dans les deux décennies précédentes, rompt avec la structure dite “à numéros” où s’enchaînent les “pas de deux”, “pas de quatre” et autres passages solistes comme autant de pièces individuelles juxtaposées. Le drame s’organise alors de façon plus linéaire et plus proche du récit, comme initié par Richard Wagner (1813-1883) dans ses drames lyriques. En parallèle, la mode de l’orientalisme permet d’aborder de nouveaux sujets et à explorer notamment les contes ancestraux, les folklores et les cultures extra-européennes. Cette nouvelle approche du drame confère à la musique une plus grande implication dans le récit. Il n’est plus seulement question d’apporter un support sonore et émotionnel à l’évolution des danseurs mais de prendre part à l’argument au même titre que la chorégraphie, les décors ou les costumes.
Le monde chorégraphique du début du 20ème siècle est essentiellement marqué par les tournées de la compagnie des Ballets russes qui produit des spectacles inédits tant sur le fond que dans la forme. Son fondateur, Serge Diaghilev (1872-1929) confie en 1909 la composition musicale du nouveau projet scénique, l’Oiseau de feu, à Igor Stravinsky (1882-1971). C’est le premier grand projet de ballet pour le compositeur qui, ambitieux, fait appel à un orchestre de très grande dimension. Le succès est immédiat. Il aura pour conséquence une collaboration avec les Ballets russes jusqu’au début des années 1920, notamment la création en 1913 d’une des ְœuvres les plus importantes du 20ème siècle : le Sacre du Printemps.
L’Oiseau de feu fait encore usage de l’héritage du siècle antérieur bien que Stravinsky explore déjà des harmonies innovantes et tente des combinaisons rythmiques qui annoncent la modernité du Sacre. L’histoire est inspirée de plusieurs contes du folklore slave mettant en scène Ivan Tsarévitch, un jeune prince, dans sa quête de l’Oiseau de feu. La poursuite de l’animal merveilleux, auquel il parvient à arracher une plume à défaut de le capturer, mène le héros sur le territoire du terrible Kachtcheï. Ce sorcier immortel, qui garde captives en son château ses propres filles ainsi que treize princesses, furieux de cette intrusion, fait prisonnier Ivan et projette de le changer en pierre comme d’autres malheureux chevaliers avant lui. Avec le soutien des jeunes femmes et usant de sa ruse, le jeune prince réussit in extremis à invoquer, grâce à sa plume, l’Oiseau qui apparaît et fige le tyran et sa garde dans un profond sommeil, rompant le sortilège. Le château de Kachtcheï disparaît, libérant Ivan, les princesses, les filles du sorcier et les chevaliers de leur prison de pierre. Le mariage d’Ivan avec une des princesses est célébré dans l’allégresse générale.
Conscient du potentiel de sa partition, Stravinsky en extrait une suite en cinq mouvements dès 1910 pour une version concert sans danseur. Puis en 1919, il fait une nouvelle adaptation, en cinq mouvements différents de la première suite, pour orchestre symphonique standard afin d’assurer un meilleure exploitation en concert, ce qui représente pour le compositeur des revenus non négligeables. Enfin en 1945, Stravinsky livre une dernière adaptation du ballet en une suite en dix mouvements pour orchestre symphonique standard qui reprend presque la totalité de la musique d’origine appropriée à une exécution uniquement musicale en version concert.
Interprétée par le Tokyo Kosei Wind Orchestra, la suite du ballet l’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky, dans la version de 1919 arrangée pour orchestre d’harmonie :
1 – Introduction – Danse et variations de l’Oiseau de feu 2 – Khorovode (ronde) des princesses 3 – Danse infernale du Roi Kachtcheï 4 – Berceuse 5 – Final