Opus n° 5 : Les « grands compositeurs » se sont-ils intéressés à l’orchestre d’harmonie ?
Le grand répertoire orchestral “classique” est essentiellement écrit pour orchestre symphonique. Pour autant, les améliorations techniques apportées au fil du temps aux instruments à vent n’ont pas manqué des séduire les musiciens. D’ailleurs, en musique de chambre, il existe une multitude d’œuvres écrites pour ensembles à vents, de Mozart à Stravinsky en passant par Beethoven, Gounod ou encore Dvorak. Par ailleurs, le traitement des vents dans les symphonies d’étoffe tout au long du 19ème siècle, toujours grâce aux innovations techniques apportées à cette famille d’instruments et à son élargissement : amélioration des mécanismes des cuivres (pistons, valves), apparition des familles des saxophones et des saxhorn (cuivres), agrandissement des familles des clarinettes et des flûtes qui se décline du modèle piccolo à basse, voire contrebasse… Si bien que certains extraits de célèbres symphonies – ou d’œuvres symphoniques dans un sens plus large – sont de véritables moments d’orchestre d’harmonie.
D’ailleurs, faisons une parenthèse, le terme HARMONIE désigne dans l’orchestre symphonique la section des vents et percussions, par opposition aux cordes, aussi appelé le QUINTETTE (violons 1, violons 2, violons altos, violoncelles et contrebasses). On parle également de PETITE HARMONIE pour mentionner uniquement les bois (dont font partie les saxophones, je le rappelle !)
Néanmoins, les compositions pour grand orchestre d’harmonie par ces musiciens sont assez peu nombreuses et encore moins connues. Les deux plus célèbres étant les deux suites de Gustav Holst. Il faut dire aussi que très souvent les compositeurs ont proposé eux-mêmes des adaptations pour orchestre symphoniques de leur pièce pour harmonie ; une manière d’assurer la pérennité de leurs œuvres, car la plupart des orchestres professionnels au 19ème siècle sont symphoniques, rattachés pour la plupart à des maisons d’opéra. Et vous imaginez, confier un opéra de trois heures à un orchestre d’harmonie ! Il faudrait renouveler l’orchestre à chaque acte… En effet, l’endurance d’un musicien qui joue d’un instrument à vent n’est pas la même que celle d’un violoniste ou d’un pianiste.
À toute règle, son exception. Et à toute époque, son génie. Hector Berlioz (1803-1869), illustre compositeur, orchestrateur précurseur, théoricien encore de nos jours respecté, n’en est pas moins délaissé et oublié (voire dénigré !) dans son propre pays, la France, alors qu’il continue de fasciner partout dans le monde. On pourrait rajouter : nul n’est prophète en son pays. Et bien, ce cher Hector a laissé à la postérité une œuvre pour orchestre d’harmonie, j’entends par là, écrite à l’origine pour orchestre d’harmonie. Il s’agit d’une commande du ministre de la Défense de l’époque en personne qui veut célébrer en grande pompe les 10 ans de la révolution de 1830. Il est prévu une parade sur les grandes avenues de Paris, ou plus exactement d’un cortège militaire qui mènera les dépouilles de plusieurs martyrs vers leur nouvelle demeure, la Colonne de la Bastille, érigée pour l’occasion. Le caractère déambulatoire de la cérémonie impose l’emploi d’un orchestre qui soit en mesure de jouer tout en se déplaçant : l’orchestre d’harmonie. Berlioz compose donc sa Grande symphonie funèbre et triomphale. Bien évidemment le sujet est à la fois militaire et pompeux, et ne fait pas nécessairement dans la délicatesse. Pourtant Berlioz y fait du Berlioz, sonore et puissant, coloré et imaginatif. Bien que d’inspiration martiale, cette symphonie n’en est pas moins de la musique sérieuse et savante. Le compositeur livre une œuvre en trois mouvements. Le premier, la Marche funèbre, solennelle et triste, aux remarquables contrastes dynamiques et empreinte de l’héroïsme de la 3ème symphonie de Beethoven, sera répété ad libitum tout au long de la procession. Le second, inspiré d’un air d’un de ses propres opéras servira d’Oraison funèbre devant la Colonne dans une conversation entre un trombone solo et l’orchestre. Enfin un dernier mouvement marquera l’Apothéose de la cérémonie, un hymne aux glorieux héros de la Nation.
Cette œuvre, quelque peu oubliée aujourd’hui, n’a pas manqué d’impressionner ses contemporains par sa force et sa modernité. Même Richard Wagner en exprimera toute son admiration lors d’une représentation de concert quelques années plus tard.
Petite remarque pour les fins connaisseurs : ne cherchez pas de saxophone ou de saxhorn/euphonium parmi les musiciens de l’orchestre d’harmonie danois d’Odense dans la vidéo suivante. En effet, en 1840, date de composition de cette symphonie, les saxophones et le saxhorns/euphoniums n’en sont qu’à leur balbutiements et autres gazouillis… Ils ne sont pas encore assez mûrs pour intégrer l’orchestre d’harmonie. Les voix aujourd’hui confiées à ces instruments sont données, à l’époque de Berlioz, à un énorme pupitre de cors. L’absence des uns fera le bonheur des autres, surtout des hautboïstes, qui sont par conséquent grandement sollicités pour apporter leur richesse de timbre et ainsi colorer le pupitre de clarinettes…